1805

Constitution Impériale d’Haïti (1805)

Constitution d’ Haïti[1]

Nous, H. Christophe, Clerveaux, Vernet, Gabart, Pétion, Geffrard, Toussaint-Brave, Raphaël, Lalondrie, Romain, Capois, Magny, Cangé, Daut, Magloire Ambroise, Yayou, Jean-Louis François, Gérin, Férou, Bazelais, Martial Besse.

Tant en notre nom particulier qu’en celui du peuple d’Haïti, qui nous a légalement constitués les organes fidèles et les interprètes de sa volonté.

En présence de l’Être-Suprême, devant qui les mortels sont égaux, et qui n’a répandu tant d’espèces de créatures différentes sur la surface du globe qu’aux fins de manifester sa gloire et sa puissance par la diversité de ses oeuvres;

En face de la nature entière, dont nous avons été si injustement et depuis si longtemps considérés comme les enfants repoussés:

Déclarons que la teneur de la présente Constitution est l’expression libre, spontanée et invariable de nos coeurs et de la volonté générale de nos concitoyens;

La soumettons à la sanction de sa Majesté l’Empereur Jacques Dessalines, notre libérateur, pour recevoir sa prompte et entière exécution.

DÉCLARATION PRÉLIMINAIRE

Art. Premier. Le peuple habitant l’île ci-devant appelée Saint-Domingue, convient ici de se former en Etat libre, souverain et indépendant de toute autre puissance de l’univers, sous le nom d’Empire d’Haïti.

Art. 2. L’esclavage est à jamais aboli.

Art. 3. Les citoyens haïtiens sont frères chez eux; l’égalité aux yeux de la loi est incontestablement reconnue, et il ne peut exister d’autre titre, avantages ou privilèges, que ceux qui résultent nécessairement de la considération et en récompense des services rendus à la liberté et à l’indépendance.

Art. 4. La loi est une pour tous, soit qu’elle punisse, soit qu’elle protège.

Art. 5. La loi n’a pas d’effet rétroactif.

Art. 6. La propriété est sacrée, sa violation sera rigoureusement poursuivie.

Art. 7. La qualité de citoyen d’Haïti se perd par l’émigration et par la naturalisation en pays étranger, et par la condamnation à des peines afflictives et infamantes. Le premier cas emporte la peine de mort et la confiscation des propriétés.

Art. 8. La qualité de citoyen est suspendue par l’Effet de banqueroutes et de faillites.

Art. 9. Nul n’est digne d’être haïtien, s’il n’est bon père, bon fils, bon époux, et surtout bon soldat.

Art. 10. La faculté n’est pas accordée aux pères et mères de déshériter leurs enfants.

Art. 11. Tout citoyen doit posséder un art mécanique.

Art. 12. Aucun blanc, quelle que soit sa nation, ne mettra le pied sur ce territoire, à titre de maître ou de propriétaire et ne pourra à l’avenir y acquérir aucune propriété.

Art. 13. L’article précédent ne pourra produire aucun effet tant à l’égard des femmes blanches qui se sont naturalisées Haïtiennes par le gouvernement qu’à l’égard des enfants nés ou à naître d’elles. Sont compris dans les dispositions du présent article, les Allemands et Polonais naturalisés par le gouvernement.

Art. 14. Toute acception de couleur parmi les enfants d’une seule et même famille, dont chef de l’Etat est le père, devra nécessairement cesser, les Haïtiens ne seront désormais connus que sous la dénomination génériques de noirs.

De l’Empire

Art. 15. L’Empire d’Haïti est un et indivisible, son territoire est distribué en six divisions militaires.

Art. 16. Chaque division militaires sera commandée par un général de division.

Art. 17. Chacun de ces généraux de division sera indépendant des autres, et correspondra directement avec l’Empereur ou avec le général en chef nommé par sa majesté.

Art. 18. Sont parties intégrantes de l’Empire les îles ci-après désignées: Samana, la Tortue, la Gonâve, les Cayemites, l’Île à Vache, la Saône, et autres villes îles adjacentes.

Du Gouvernement

Art. 19. Le gouvernement d’Haïti est confié à un premier magistrat qui prend le titre d’Empereur et Chef suprême de l’armée.

Art. 20. Le peuple reconnaît pour Empereur et Chef suprême de l’armée Jacques Dessalines, le vengeur et libérateur de ses concitoyens; on le qualifie de Majesté ainsi que son auguste épouse l’Impératrice.

Art. 21. La personne de Leurs Majestés est sacrée et inviolable.

Art. 22. L’État accordera un traitement fixe à sa majesté l’Impératrice dont jouira même après le décès de l’Empereur, à titre de princesse douairière,

Art. 23. La couronne est élective et non héréditaire.

Art. 24. Il sera affecté, par l’État, un traitement annuel aux enfants reconnus par Sa Majesté l’Empereur.

Art. 25. Les enfants mâles reconnus par l’Empereur seront tenus, à l’instar des autres citoyens, de passer successivement de grade en grade, avec cette seule différence que leur entrée au service datera dans la quatrième demi-brigade dès l’époque de leur naissance.

Art. 26. L’Empereur désigne son successeur et de la manière qu’il le juge convenable, soit avant, soit après sa mort.

Art. 27. Un traitement convenable est fixé par l’État à ce successeur, du moment de son avènement au trône.

Art. 28. L’Empereur, nu aucun de ses successeurs, n’aura le droit, dans aucun cas, et sous quelque prétexte que ce soit, de s’entourer d’un corps particulier et privilégié à titre de garde d’honneur, ou sous toute autre dénomination.

Art. 29. Tout successeur qui s’écartera des disposition du précédent article ou de la marche qui lui aura été tracée par l’Empereur régnant, ou des principes consacrés par la présente Constitution, sera considéré et déclaré en état de guerre contre la société.

En conséquence, les conseillers d’Etat s’assembleront, à l’effet de prononcer sa destitution, et de pourvoir `son remplacement par celui d’entre eux qui en aura été jugé le plus digne, et s’il arrivait que ledit successeur voulût s’opposer à l’exécution de cette mesure, autorisée par la loi, les généraux conseillers d’Etat feront appel au peuple et à l’armée, qui de suite leur prêteront main-forte et assistance pour maintenir la liberté

Art. 30. L’Empereur fait, scelle et promulgue les lois, nomme et révoque, à sa volonté, les ministres, le général en chef de l’armée, les conseillers d’État, les généraux et autres agents de l’E,pire, les officiers de l’armée de terre et de mer, les membres des administrations locales, les commissaires du gouvernement près les tribunaux, les juges et autres fonctionnaires publics.

Art. 31. L’Empereur dirige les recettes et dépenses de l’État, surveille la fabrication des monnaies; lui seul en ordonne l’émission, en fixe le poids et le type.

Art. 32. A lui seul est réservé le pouvoir de faire la paix ou la guerre, d’entretenir des relations politiques et de contracter.

Art. 33. Il pourvoit à la sûreté intérieure et à la défense de L’État, distribue les forces de terre et de mer suivant sa volonté.

Art. 34. L’Empereur, dans le cas ou il se tramerait quelque conspiration contre la sûreté de l’État, contre la Constitution ou contre sa personne, fera arrêter les auteurs ou complices, qui seront jugés par un conseil spécial.

Art. 35. Sa Majesté seule a le droit d’absoudre un coupable ou de commuer sa peine.

Art. 36. L’Empereur ne formera jamais aucune entreprise dans la vue de faire des conquêtes ni de troubler la paix et le régime intérieur des colonies étrangères.

Art. 37. Tout acte public sera fait en ces termes: “L’Empereur d’Haïti et le chef suprême de l’armée, par la grâce de Dieu et la loi constitutionnelle de l’État.”

Du Conseil d’État

Art. 38. Les généraux de division et de brigade sont membres-nés du conseil d’Etat et le composent.

Art. 39. Il aura dans l’Empire deux ministres et un secrétaire d’État.

Le ministre des finances ayant le département de l’intérieur.

Le ministre de la guerre ayant le département de la marine.

DU MINISTRE DES FINANCES ET DE L’INTÉRIEUR

Art. 40. Les attributions de ce ministre comprennent l’administration générale du Trésor public, l’organisation des administrations particulières, la distribution des fonds à mettre à la disposition du ministre de la guerre et autres fonctionnaires, les dépenses publiques, les instructions qui règnent la comptabilité des administrations et des payeurs de division, l’agriculture, le commerce, l’instruction publique, les poids et mesures, la formation des tableaux de population, les produits territoriaux, les domaines nationaux, soit pour la conservation, soit pour la vente, les baux à ferme, les prisons, les hôpitaux, l’entretien des routes, les bacs, salines, manufactures, les douanes, enfin la surveillance et la fabrication des monnaies, l’exécution des lois et arrêtés du gouvernement à ce sujet.

Du Ministre de la Guerre et de la Marine

Art. 41. Les fonctions de ce ministre embrassent la levée, l’organisation, l’inspection, la surveillance, la discipline, la police et le mouvement des armées de terre et de mer, le personnel et le matériel de l’artillerie et du génie, les fortifications, les forteresses, les poudres et salpêtres, l’enregistrement des actes et arrêtés de l’Empereur, leur renvoi aux armées et la surveillance de leur exécution; il veille spécialement à ce que les décisions de l’Empereur parviennent promptement aux militaires; il dénonce aux conseils spéciaux les délits militaires parvenus à sa connaissance et surveille les commissaires de guerre et officiers de santé.

Art. 42. Les ministres sont responsables de tous les délits par eux commis contre la sûreté publique et la Constitution, de tout attentat à la propriété et à la liberté individuelle, de toute dissipation de deniers à eux confiés; ils sont tenus de présenter. tous les trois mois, à l’Empereur, l’aperçu des dépenses à faire, de rendre compte de l’emploi des sommes qui ont été mises à leur disposition, et d’indiquer les abus qui auraient pu se glisser dans les diverses branches de l’administration.

Art. 43. Aucun ministre en place ou hors de place ne peut être poursuivi en matière criminelle, pour fait de son administration, sans l’adhésion personnelle de l’Empereur.

Du Secrétaire d’État

Art. 44. Le secrétaire d’État est chargé de l’impression, de l’enregistrement et de l’envoi des lois, arrêtés, proclamations et instructions de l’Empereur; il travaille directement avec l’Empereur pour les relation étrangères, correspond avec les ministres, reçoit de ceux-ci les requêtes, pétitions et autres demandes qu’il soumet à L’Empereur, de même que les questions qui lui sont proposés par les tribunaux; il renvoie aux ministres les jugements et pièces sur lesquels l’Empereur a statué.

Des Tribunaux

Art. 45. Nul ne peut porter atteinte au droit qu’a chaque individu de faire juger à l’amiable par des arbitres à son choix. Leurs décisions seront reconnues légales.

Art. 46. Il y aura un juge de paix dans chaque commune; il ne pourra connaître d’une affaire s’élevant au delà de cent gourdes, et lorsque les parties ne pourront concilier à son tribunal, elles se pourvoiront par-devant les tribunaux de leur ressort respectif.

Art. 47. Il y aura six tribunaux séant dans les villes ci-après:

A Saint Marc, au Cap, au Port-au-Prince, aux Cayes, à l’Anse-à-Veau et au Port-de-Paix.

L’Empereur détermine leur organisation, leur nombre, leur compétence et le territoire formant le ressort de chacun.

Les tribunaux connaissent de toutes les affaires purement civiles.

Art. 48. Les délits militaires sont soumis à des conseils spéciaux et à des formes particulières de jugement. L’organisation de ces conseil appartient à l’Empereur, qui prononcera sur les demandes en cassation contre les jugements rendus par les dits conseils spéciaux.

Art. 49. Des lois particulières seront faites pour le notariat et à l’égard des officiers de l’État civil.

Du Culte

Art. 50. La loi n’admet pas de religion dominante.

Art. 51. La liberté des cultes est tolérée.

Art. 52. L’Etat ne pourvoit à l’entretien d’aucun culte ni d’aucun ministre.

De l’Administration

Art. 53. Il y aura, dans chaque division militaire, une administration principale, dont l’organisation, la surveillance appartiennent essentiellement au Ministre des finances:

DISPOSITIONS GÉNÉRALES

Art. premier. A l’Empereur et l’Impératrice appartiennent le choix, le traitement et l’entretien des personnes qui composent leur cour.

Art. 2. Après le décès de l’Empereur régnant, lorsque la révision de la Constitution aura été jugées nécessaire, le conseil d’État s’assemblera à cet effet et sera présidé par le doyen d’âge.

Art. 3. Les de haute trahison, les délits commis par les ministres et les généraux, seront jugés par un conseil spécial nommé et présidé par l’Empereur.

Art. 4. La force armée est essentiellement obéissante, nul corps armé ne peut délibérer.

Art. 5. Nul ne pourra être jugé sans avoir été légalement entendu.

Art. 6. La maison de tout citoyen est un asile inviolable.

Art. 7. On peut y entrer en cas d’incendie, d’inondation, de réclamation partant de l’intérieur, ou en vertu d’un ordre émané de l’Empereur ou de toute autre autorité légalement constituée.

Art. 8. Celui-là mérite la mort qui la donne à son semblable.

Art. 9. Tout jugement portant peine de mort ou peine afflictive, ne pourra recevoir son exécution, s’il n’a été confirmé par l’Empereur.

Art. 10. Le vol est puni en raison des circonstances qui l’auront précédé, accompagné ou suivi.

Art. 11. Tout étranger habitant le territoire d’Haïti sera, ainsi que les Haïtiens, soumis aux lois constitutionnelles et criminelles du pays.

Art. 12. Toute propriété qui aura ci-devant appartenu à un blanc français est incontestablement et de droit confisqué au profit de l’État.

Art. 13. Tout haïtien qui, ayant acquis une propriété d’un blanc français, n’aura payé qu’une partie du prix stipulé par l’acte de vente, sera responsable, envers les domaines de l’État, su reliquat de la somme due.

Art. 14. Le mariage est un acte purement civil et autorisé par le gouvernement.

Art. 15. La loi autorise le divorce dans les cas qu’elle a prévus et déterminés

Art. 16. Une loi particulière sera rendue concernant les enfants nés hors mariage.

Art. 17. Le respect pour ses chefs, la subordination et la discipline sont rigoureusement nécessaires.

Art. 18. Un code pénal sera publié et sévèrement observé.

Art. 19. Dans chaque division militaire, une école sera établie pour l’instruction de la jeunesse.

Art. 20. Les couleurs nationales sont noires et rouges.

Art. 21. L’agriculture, comme le premier, le plus noble et le plus utile de tous les arts, sera honorée et protégée.

Art. 22. Le commerce, seconde source de la prospérité des États, ne veut et ne connaît point d’entraves

Art. 23. Dans chaque division militaire, un tribunal de commerce sera formé, dont les membres choisis par l’Empereur, et tirés de la classe des négociants.

Art. 24. La bonne foi, la loyauté dans les opérations commerciales seront religieusement observées.

Art. 25. Le gouvernement assure sûreté et protection aux nations neutres et amies qui viendront s’entretenir avec cette île des rapports commerciaux, à la charge par elle de se conformer aux règlements, us et coutumes de ce pays.

Art. 26. Les comptoirs, les marchandises des étrangers seront sous la sauvegarde et la garantie de l’État.

Art. 27. Il y aura des fêtes nationales pour célébrer l’Indépendance, la fête de l’Empereur et de son auguste épouse, celle de l’Agriculture et de la Constitution.

Art. 28. Au premier coup de canon d’alarme, les villes disparaissent et la nation est debout.

Nous Mandataires soussignés,

Mettons sous la sauvegarde des magistrats, des pères et mères de familles, des citoyens et de l’armée, le pacte explicite et solennel des droits sacrés de l’homme et des devoirs du citoyen;

La recommandons à nos neveux, et en faisons hommage aux amis de la liberté, aux philanthropes de tous les pays, comme un gage signalé de la bonté divine, qui, par la suite de ses décrets immortels, nous a procuré l’occasion de briser nos fers et de nous constituer en peuple libre, civilisé et indépendant.

Et avons signé tant en notre nom privé qu’en celui de nos commettants.

Signés, H. Christophe, Clerveaux, Vernet, Gabart, Pétion, Geffrard, Toussaint-Brave, Raphaël, Lalondrie, Romain, Capoix, Magny, Cangé, Daut, Magloire Ambroise, Yayou, Jean-Louis François, Gérin, Moreau, Férou, Bazelais, Martial Besse.

Vu la présente Constitution,

Nous, Jacques Dessalines, Empereur 1er. d’Haïti et chef suprême de l’armée par la grâce de Dieu et la loi constitutionnelle de l’Etat,

L’acceptons dans tout son contenu, et la sanctionnons pour recevoir, sous le plus bref délai, sa pleine et entière exécution dans toute l’étendue du territoire de notre Empire.

Et jurons de la maintenir de la faire observer dans son intégrité jusqu’au dernier soupir de notre vie.

Au Palais impérial de Dessalines, le 20 Mai 1805, an II de l’Indépendance d’Haïti, et de notre règne le premier.

Dessalines.

Par l’Empereur:

Le Secrétaire Général

Juste Chanlatte.

 

[1] Based on Constitution d’ Haïti, s.l.: s.n., [1805].